Ce mouvement initié le 20 avril avec le slogan « Ne fais pas mal à ma poche » et lancé de manière anonyme sur les réseaux sociaux vise principalement les stations-service AFRIQUIA (dont le ministre de l'agriculture Aziz Akhannouch est le principal actionnaire), l'eau minérale SIDI ALI (propriété de Miriem Bensalah, ex-présidente du patronat marocain) et le lait DANONE, tous accusés d’abuser de leurs positions hégémoniques pour vendre leurs produits trop chers.
Le mouvement qui a pris une ampleur considérable, affecte la quasi-totalité des villes du pays. Il s'inscrit dans la droite ligne de divers mouvements sociaux provoqués par la pauvreté, qui ont éclaté depuis deux ans. Un rapport des Nations Unies publié en 2016 estimait à 60 % le nombre de pauvres au Maroc.
Les Marocains souffrent de la médiocrité de leur niveau de vie ; leur pouvoir d'achat serait d'environ un quart de celui des Espagnols, selon un rapport de la Banque mondiale diffusé en octobre, qui estimait que leur niveau de vie était équivalent à « celui des Français en 1950 ». Actuellement, le salaire moyen ne dépasse pas 350 euros dans le pays et l'équivalent du SMIC près de 120 euros.
Le pays a pourtant connu une croissance forte, l'an dernier (4 %), une inflation maîtrisée et des flux d'investissements étrangers bien plus élevés que ses voisins. Mais le chômage frappe toujours plus d'un jeune sur quatre, et jusqu’à 43 % en milieu urbain. Le marché du travail de ce pays de 35 millions d'habitants doit absorber près de 500.000 jeunes par an, des jeunes qui manifestent régulièrement leur colère, notamment dans la région du Rif depuis vingt mois.
Central Danone, la filiale du groupe français a vu son chiffre d'affaires plonger de 50 % en six semaines, suite à ce mouvement de protestation contre la vie chère.
Ce mouvement, s'avère tout à fait dommageable pour Centrale Danone, la filiale locale du groupe, accusée de vendre trop cher ses produits. Cotée à la Bourse de Casablanca, elle prévoit une chute significative de son chiffre d'affaires et de son résultat net au premier semestre 2018.
Commerçants et restaurateurs hésitent désormais à acheter les produits de Danone par crainte de ne pas pouvoir les vendre.
Face à cette situation que le pouvoir marocain juge « inquiétante », sans parvenir à la contrôler, Centrale Danone a décidé de diminuer très significativement (30 %) sa collecte de lait auprès de ses 120.000 éleveurs et a mis un terme à près de 900 contrats d'intérimaires. Craignant de perdre leurs emplois, des centaines de salariés de Centrale Danone ont manifesté devant le Parlement à Rabat, ces derniers jours. On considère également que les agriculteurs qui livrent Danone, ont perdu un tiers de leur revenu, avec ce boycott, perte de revenu qui sera particulièrement douloureuse pour les petits éleveurs.
Le Patron de Danone, Emmanuel Faber s’est rendu mardi dernier (26 juin) à Casablanca afin de rencontrer des éleveurs, des épiciers et des consommateurs locaux. Il a également assuré sur les réseaux sociaux, de sa volonté de d’écoute et de compréhension du phénomène.
Au Maroc, le mouvement est d'autant plus pris au sérieux que nul ne voit de raison pour que cesse le boycott. Ceux qui l'alimentent affirment qu'ils n'arrêteront pas leur action tant qu'ils n'auront pas obtenu une baisse des prix des produits visés. Ce mouvement selon certains est également révélateur d’une méfiance croissante vis-à-vis des partis politiques, perçus comme les défenseurs d'une caste économique qui ne porte plus la voix des électeurs.
Source : Les Échos